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1211 GENEVE 19, SUISSE
 

SYMPOSIUM INTERPARLEMENTAIRE
LE PARLEMENT : GARDIEN DES DROITS DE L'HOMME

Organisé par l'Union interparlementaire
Budapest (Hongrie), 19- 22 mai 1993

SYNTHESE DES DEBATS
PAR LA PRESIDENCE DU SYMPOSIUM

1. Pour l'ensemble de la communauté internationale, l'année 1993 devrait marquer une étape décisive pour la promotion et la protection des droits de l'homme. C'est donc fort opportunément que l'Union interparlementaire  a décidé d'organiser, en anticipation de la IIe Conférence mondiale sur les droits de l'homme, qui aura lieu à Vienne du 14 au 25 juin, un Symposium mondial sur "Le Parlement : gardien des droits de l'homme".

2. Avec fierté, le Parlement hongrois a accueilli dans la salle de l'Assemblée nationale 150 parlementaires de 58 pays, dont un grand nombre de Présidents, vice-Présidents et membres actifs de commissions parlementaires des droits de l'homme, pour un débat sur un pied d'égalité avec des représentants d'organisations internationales et des représentants d'organisations nationales compétentes en la matière ainsi qu'avec des experts.

3. Neuf rapporteurs et experts ont magistralement ouvert le débat. Ils avaient préalablement présenté des documents écrits qui ont nourri la réflexion, ce dont tous les participants leur sont reconnaissants. Un hommage particulier doit être rendu à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et au Centre pour les droits de l'homme des Nations Unies dont la contribution appréciée aux travaux du Symposium a considérablement enrichi le débat.

4. Les échanges ont pris la forme du dialogue, suscitant une réflexion fructueuse dont on peut espérer qu'elle aura des effets positifs non seulement à court terme mais aussi à long terme.

5. Essentiellement consacré à un débat sur les principes et sur les moyens dont le Parlement et ses membres disposent pour promouvoir les droits de l'homme et prévenir efficacement tout abus dans ce domaine, le Symposium a visé à identifier les voies par lesquelles l'institution représentative pourrait plus efficacement jouer son rôle de gardien des droits de l'homme et, par là, à inciter à une action parlementaire plus résolue dans ce domaine.

6. Il l'a fait en gardant toujours présents à l'esprit les guerres et conflits dans plusieurs régions du monde et toutes les questions et les situations concrètes et urgentes de violation des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels qui constituent pour les représentants des peuples une préoccupation et un défi quotidiens et face auxquelles les électeurs attendent une action parlementaire déterminée et efficace.

7. Le Symposium n'a pas pu passer sous silence les atteintes massives aux droits de l'homme dans certaines crises comme, par exemple, celle du Moyen-Orient et dans l'ex-Yougoslavie.

ROLE FONDATEUR DES PARLEMENTS
EN MATIERE DE DROITS DE L'HOMME

8. Avec fierté, le Symposium a évoqué le rôle historique des Parlements pour fonder et codifier les droits de l'homme. Ce sont en effet les assemblées qui conçurent la pétition des droits et l'habeas corpus en Angleterre et la déclaration des droits de l'Etat de Virginie puis les amendements à la Constitution des Etats-Unis. C'est également la première assemblée populaire française qui a élaboré la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

REPRESENTATIVITE DU PARLEMENT

9. Le Symposium a affirmé que pour être le véritable gardien des droits de l'homme, le Parlement doit présenter certaines caractéristiques fondamentales.

10. C'est ainsi que ses membres doivent avoir été choisis par le peuple souverain, au suffrage universel égal, lors d'élections, libres et régulières, en accord avec les principes énoncés à l'article 21 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Dans ce contexte, le principe du respect du verdict des urnes a été évoqué.

11. L'un des fondements de l'autorité du Parlement est en outre son caractère véritablement représentatif de la diversité de la société dans toutes ses composantes : courants politiques, sexes, races, ethnies, minorités, etc. A cet effet, une large majorité d'intervenants ont insisté sur la garantie que représente l'existence d'un système permettant l'élection d'une assemblée pluraliste; certaines voix se sont néanmoins élevées pour faire valoir que le système du parti unique permettait une représentation adéquate de toutes les composantes de la société.

Représentation des femmes

12. Conséquent avec le concept préconisé par l'Union interparlementaire, le Symposium a mis l'accent sur le fait que la démocratie ne prend tout son sens que dans la mesure où la participation des femmes est assurée dans toutes les instances de décision, notamment au sein du Parlement, en pleine égalité de droit et de fait avec les hommes. A cet effet, certains participants ont fait valoir l'utilité de certains mécanismes tels que les quotas ou les sièges réservés, tout en reconnaissant que l'introduction de telles dispositions, à caractère évidemment discriminatoire, pouvait avoir des effets pervers et en soulignant que ces mesures ne devaient être en place que temporairement et de manière spécifique.

Représentation des minorités

13. Le Symposium a longuement analysé la façon d'assurer adéquatement la représentation des minorités au sein du Parlement.

14. Il est apparu qu'il n'existait pas de solution universelle du fait de la grande diversité des situations, qui vont de la nation homogène avec une seule minorité nationale, ethnique ou religieuse, à la présence d'une constellation de groupes dont aucun n'est prépondérant.

15. Des solutions ont été évoquées. Certains ont préconisé que la représentation des minorités doit être assurée avant tout dans le cadre du système politico-institutionnel commun à l'ensemble de la nation. D'autres, se fondant sur le fait que les minorités peuvent être géographiquement dispersées - ce qui fait obstacle à une représentation dans le cadre du découpage électoral - ou qu'elles peuvent ne pas avoir de cohésion politique, ont favorisé des dispositions politico-institutionnelles spéciales : élection de leur(s) représentant(s) par les communautés elles-mêmes sans égard à la division par circonscription électorale, établissement de quotas, nominations, sièges réservés. Par ailleurs, il a été souligné que dans des pays, notamment en Afrique, où la multiplicité des ethnies ne facilite pas la cohésion nationale, la reconnaissance de partis politiques sur une base ethnique serait pernicieuse.

16. Le Symposium a été unanime à reconnaître que la représentation des minorités au Parlement va de pair avec le respect de leur droit de participer aux organes locaux de décision mais aussi avec la reconnaissance et le libre exercice de leur culture et de leur langue propres et l'accès de leurs membres à l'éducation, sans discrimination aucune.

17. Le Symposium a, par ailleurs, souligné que les représentants des minorités au Parlement doivent agir et être considérés comme des représentants de la nation tout entière.

18. Plusieurs moyens par lesquels le Parlement peut assurer la protection des minorités ont été cités : la création d'un organe parlementaire spécialisé; l'obligation faite au gouvernement de soumettre périodiquement au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre des recommandations de l'organe national chargé de la question des minorités ; la désignation d'un commissaire indépendant pour les populations autochtones tenu de faire également rapport au Parlement.

19. 1993 étant l'Année internationale des peuples autochtones, plusieurs délégations ont souligné combien il était important que la IIe Conférence mondiale sur les droits de l'homme prenne des mesures significatives en ce qui concerne l'injustice historique dont sont victimes les populations autochtones.

20. Dans le contexte de cette discussion sur la question des minorités, certaines délégations ont par ailleurs demandé que la question de l'égalité pour les lesbiennes et les homosexuels, y compris celle de la cessation des sanctions pénales imposées pour les activités des adultes homosexuels, soit traitée par la Conférence mondiale. Une délégation s'est opposée à cette suggestion .

Place de l'opposition

21. Plusieurs participants ont souligné que l'opposition doit avoir sa place au sein du Parlement et que, pour que celui-ci puisse fonctionner en tant qu'institution représentative, il est nécessaire de veiller à des équilibres dans la pratique parlementaire de sorte que l'opposition puisse librement remplir son rôle.

22. Certains ont notamment fait valoir que l'opposition doit avoir accès à des postes de responsabilités, tels que la présidence de commissions, et qu'elle doit avoir capacité d'influer sur l'ordre du jour de l'assemblée.

ACTION PARLEMENTAIRE AU NIVEAU NATIONAL

Rôle du Parlement et de ses membres en matière de droits de l'homme

23. Le Symposium n'a pas manqué de souligner que l'ensemble de l'activité parlementaire, qui vise la totalité des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques, sociaux et culturels, a pour objet de garantir les droits de l'homme et les libertés fondamentales.

24. Le Parlement a non seulement pour rôle premier de consacrer ces droits adéquatement dans la législation nationale, dans le but de prévenir toute dérive, mais aussi de veiller à ce que la norme qu'il approuve soit traduite dans les mesures concrètes correspondantes. Dans l'exercice de ses fonctions de contrôle du Gouvernement, il a par ailleurs capacité d'exercer une sanction pouvant aller jusqu'à la censure. Il est enfin l'autorité qui vote le budget de la nation et qui peut efficacement orienter les fonds vers des secteurs prioritaires pour la jouissance des droits de l'homme.

25. Quant au parlementaire, en sa qualité de représentant des citoyens et d'intermédiaire entre ceux-ci et l'Etat, dans la mesure où il jouit de la liberté d'expression indispensable pour l'exercice de la fonction parlementaire, il est un acteur clé de la promotion et la protection des droits de l'homme et de la construction d'une culture de la démocratie et des droits de l'homme. Il peut, entre autres, dénoncer au Parlement et devant l'opinion publique les abus qu'il constate ou qui lui sont signalés par ses mandants. L'exemple de l'Italie où tout parlementaire peut, à tout moment, contrôler les conditions de détention dans une prison a été présenté comme un exemple méritant d'être suivi.

26. Le Symposium a insisté sur la fonction de contrôle de l'action gouvernementale par le Parlement. Par le jeu, notamment, des interpellations et des questions, orales ou écrites, les parlementaires peuvent veiller au respect des droits de l'homme et ont été encouragés à recourir davantage à ces procédures dans ce but.

27. Nombre d'orateurs ont également signalé la responsabilité qui incombe au Parlement et à ses membres de veiller à ce que le système d'éducation favorise une culture des droits de l'homme dans la société tout entière. Son souci doit s'étendre, de façon plus spécifique, à ce que soient prévus des cours pour sensibiliser les forces de police et de sécurité au respect des principes des droits de l'homme.

28. Dans ce contexte les participants ont marqué leur réprobation de la pratique, malheureusement répandue, de la torture. Les parlementaires ont été invités à s'engager personnellement à oeuvrer de manière énergique pour l'éradication de cette pratique et notamment à agir pour que la Convention internationale contre la torture soit ratifiée dans les plus brefs délais par tous les Etats qui ne l'ont pas encore fait et pour que ses dispositions soient strictement appliquées. Un appel a été lancé pour que le Fonds des Nations Unies pour les victimes de la torture soit régulièrement alimenté et pour que le Conseil international pour la réhabilitation des victimes de la torture reçoive l'appui qu'il mérite.

29. L'idée a été émise que les Parlements fassent pression sur les Gouvernements pour qu'une commission ou un autre organe indépendant puisse réaliser une analyse nationale du degré de mise en oeuvre des normes internationales en matière de droits de l'homme, notamment celles énoncées dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et dans le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ainsi que le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

Les commissions parlementaires, instruments de promotion et de défense des droits de l'homme

30. Parmi les principaux mécanismes permettant au Parlement d'établir des normes devant garantir les droits de l'homme, le Symposium a évoqué le travail des commissions parlementaires, et plus spécialement celles ayant pour mandat spécifique de veiller aux droits de l'homme.

31. Le Symposium a noté avec intérêt que, selon l'enquête menée par l'Union interparlementaire au sujet de l'existence et des activités des commissions parlementaires de droits de l'homme, près de la moitié des Parlements nationaux sont dotés d'un tel organe spécialisé.

32. Les interventions des nombreux Présidents et membres de ces commissions présents au Symposium ont montré que, selon le cas, ces instances ont capacité de veiller au respect des droits de l'homme sur le plan national ou, au contraire sur le plan international et parfois sur l'un et l'autre plan. Entre autres activités, elles sont souvent dotées de la capacité d'examiner des plaintes émanant de personnes ou de groupes s'estimant victimes de violations de leurs droits, et de mener des enquêtes.

33. La plupart des intervenants ont déclaré que les questions des droits de l'homme ne pouvaient être efficacement traitées par les commissions spécialisées que si celles-ci oeuvraient en étroite coopération avec d'autres commissions parlementaires telles que celles de la justice, des affaires étrangères, des affaires sociales, etc. Plusieurs participants ont souligné que l'activité des commissions parlementaires de droits de l'homme pouvait être efficacement soutenue par des contacts étroits avec les organisations non gouvernementales et qu'elle pouvait en outre être opportunément relayée par les médias. Certains ont relevé qu'elles devraient entretenir des contacts suivis avec les autorités responsables de l'application de la loi.

34. Quelques participants ont déploré les difficultés auxquelles ces commissions peuvent se trouver confrontées pour mener efficacement leurs tâches. Institutions reflétant la répartition des forces politiques au Parlement, les commissions peuvent en effet être plus enclines à soutenir la politique du Gouvernement qu'à exercer un contrôle efficace sur l'action de celui-ci en matière de droits de l'homme. Elles peuvent en outre se heurter à de sérieuses difficultés d'accès à l'information qui leur est indispensable pour oeuvrer en pleine connaissance de cause.

Interaction du Parlement et d'autres institutions nationales

35. Plusieurs délégués ont par ailleurs évoqué l'importance de l'institution de l'ombudsman, souvent nommé par le Parlement. L'expérience de certains pays qui ont établi plusieurs ombudsmen, chacun avec un champ d'activités bien précis, tel que la protection des droits de l'enfant ou de secteurs défavorisés de la société, a été longuement évoquée et présentée comme une option intéressante. Le Symposium a fait valoir que l'existence de cette institution, d'accès facile, se révélait particulièrement efficace dans la phase de transition d'un pays vers la démocratie et il en a encouragé la mise en place.

36. Certains participants de pays dotés d'une commission gouvernementale des droits de l'homme ont souligné qu'une telle instance pouvait contribuer efficacement à créer ou à développer un espace pour les droits de l'homme, et qu'une interaction entre cette institution et le Parlement et ses membres était des plus souhaitables et bénéfiques. Notamment, des membres du Parlement peuvent être membres d'une telle commission, soit à titre institutionnel soit à titre personnel.

37. Le Symposium a relevé que les institutions non gouvernementales telles que les syndicats, les associations et les organisations de droits de l'homme sont une source irremplaçable d'information et d'expertise pour les parlementaires qui, dans de nombreux pays, ne disposent ni des ressources ni de l'assistance qui leur sont indispensables pour exercer un contrôle efficace sur la politique et la pratique du Gouvernement en matière de droits de l'homme.

Moyens d'améliorer l'activité parlementaire en matière de droits de l'homme au niveau national

38. L'ensemble des participants a toutefois reconnu que l'activité parlementaire, qu'elle soit institutionnelle ou individuelle, pouvait et devait être orientée de manière plus délibérée et efficace vers une prise en compte des droits de l'homme. Pour ce faire, le Symposium a plus spécialement signalé la nécessité d'un renforcement des ressources humaines et matérielles à la disposition du Parlement et de ses membres. Les contraintes dans ce domaine constituent en effet, dans la plupart des pays et notamment dans ceux qui connaissent une phase de transition vers la démocratie, un obstacle majeur à une activité parlementaire efficace. Plusieurs parlementaires ont relevé qu'à défaut de disposer de personnel qualifié en nombre suffisant et de services de recherche et d'information équipés pour répondre à la diversité des activités parlementaires l'activité du législateur est inévitablement dépendante de l'administration gouvernementale.

ACTION DU PARLEMENT EN CE QUI CONCERNE LES NORMES INTERNATIONALES DE DROITS DE L'HOMME

39. L'action des Parlements nationaux en matière de droits de l'homme prend toute sa dimension et sa signification lorsqu'on la rattache à l'ensemble du processus d'élaboration et de mise en oeuvre des instruments internationaux dans ce domaine. Comme le Symposium l'a rappelé, la communauté internationale dispose, avec la Charte des Nations Unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, des fondements mêmes de l'instauration, au niveau national, d'un régime de droit garantissant les droits et les libertés de chacun.

40. Depuis cette date, l'Organisation des Nations Unies, l'OIT et l'UNESCO ont élaboré un certain nombre de pactes internationaux, ainsi que de conventions sur des sujets spécifiques, qualifiés de normes internationales, auxquelles leur ratification par les Etats confère un caractère obligatoire. C'est donc sur ce terrain que les Parlements nationaux ont un rôle décisif à jouer.

41. Toutefois, l'intervention du Parlement peut se situer à un stade bien antérieur à la ratification. Plusieurs orateurs ont déploré que les Parlements ne soient généralement pas associés à la préparation et à la négociation des instruments internationaux. En effet, il est très rare qu'ils prennent l'initiative de présenter de tels projets de textes dans les instances internationales. Comme le recommande une résolution du Conseil interparlementaire, les parlementaires pourraient, avec les représentants gouvernementaux de leur pays, être associés à l'élaboration d'instruments nouveaux dans les instances internationales à caractère délibératif.

42. De même, il a été déploré que les Parlements ne soient pas informés de la position de l'Exécutif sur son intention de signer et de faire ratifier ou non l'instrument adopté dans les enceintes internationales. Certes, la conclusion des accords internationaux est une prérogative de l'Exécutif et les gouvernements ne sont guère disposés à s'en laisser déposséder. Toutefois, il n'y a aucune raison pour que le législateur, dont le pouvoir de contrôle sur l'action de l'Exécutif est général, soit écarté de cette procédure. Il pourrait en particulier intervenir pour demander au gouvernement les raisons pour lesquelles il n'a pas procédé à la signature de la norme. De même, il peut interroger l'Exécutif au cas où celui-ci n'honorerait pas l'engagement qu'a contracté un gouvernement précédent en signant la convention.

43. La phase de ratification elle-même peut subir certains délais, pouvant aller jusqu'à plusieurs années, sans que le Parlement soit invité par le gouvernement à débattre de l'adhésion à la norme internationale. Ces retards peuvent être dus à la charge de travail qu'entraîne l'examen de la compatibilité de la norme avec la législation existante. Au cours du Symposium, certains intervenants ont souligné que le parlementaire doit exercer avec vigilance son droit de questionner le gouvernement sur les raisons pour lesquelles tel ou tel instrument international n'a pas été ratifié ou pour susciter une révision des réserves émises au moment d'une ratification. S'il s'agissait d'obstacles de caractère législatif, le Parlement serait bien placé pour y remédier.

44. Il a par ailleurs été mentionné qu'en ce qui concerne les conventions adoptées par la conférence générale de l'OIT, les gouvernements - quelle qu'ait été leur position sur le sujet lors du vote - sont dans l'obligation de soumettre dans l'année qui suit le texte de l'instrument, afin que le Parlement se prononce à ce sujet. On peut concevoir qu'une telle pratique soit suivie pour tout autre instrument international.

45. Le Symposium a fortement plaidé en faveur d'une plus large ratification des instruments internationaux de droits de l'homme par les Parlements. Ils pourraient ainsi pousser à la ratification des deux Pactes internationaux de l'ONU de 1966, auxquels manquent encore une soixantaine d'adhésions de la part de Membres de l'Organisation, et de quelque 24 conventions spécifiques de l'ONU, de l'OIT, de l'UNESCO, ainsi que des Conventions de Genève de 1948, dont le degré de ratification est extrêmement divers. Toutefois, on a fait observer que la ratification est un acte qui ne doit pas être posé à la légère car il entraîne évidemment, et de façon immédiate, des responsabilités importantes pour le pays qui accepte cet instrument.

46. La mise en oeuvre des normes internationales requiert l'incorporation de la norme dans la législation nationale. S'agissant de principes aussi essentiels que les droits fondamentaux et les libertés de la personne - comme par exemple le droit à la vie et à ne pas être torturé - il a été estimé extrêmement souhaitable que ce soit la Constitution, et non pas seulement la loi ordinaire, qui consacre ces droits. Cette constitutionnalisation permet en effet de garantir une plus grande intangibilité de ces principes. Pour la même raison, il a été préconisé qu'une référence explicite à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux droits qu'elle consacre soit inscrite dans la Constitution.

47. Les Parlements devraient par ailleurs ratifier la dévolution de compétence aux comités de l'ONU, habilités par certains traités à recevoir et à examiner les plaintes de particuliers ou de groupes s'estimant victimes d'une violation de droits.

48. A ce moment de la discussion, de nombreux intervenants ont déploré la trop grande distance qui sépare les textes de leur transposition dans la réalité. Ainsi que l'a très largement souligné le Symposium, l'expérience montre que de nombreux instruments relatifs aux droits de l'homme sont malheureusement trop souvent inappliqués, ce qui confère au Parlement une responsabilité plus grande encore dans le contrôle de leur application. On a fait valoir que le Parlement devrait davantage intervenir afin de veiller à ce que l'Exécutif soumette aux comités internationaux institués par les traités les rapports qui leur sont dus, en y incluant les travaux et les observations du législateur. A défaut d'être consultés lors de l'élaboration de ces rapports, les Parlements devraient les recevoir pour information, ainsi que les avis, décisions ou recommandations des comités auxquels ils ont été soumis.

49. Il va de soi que les Parlements, y compris le cas échéant les commissions parlementaires des droits de l'homme, devraient échanger des informations sur le suivi de l'application des normes avec les commissions nationales, gouvernementales ou non gouvernementales.

50. Comme cela a été exposé au cours du Symposium, les mécanismes utilisés par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe quant à l'élaboration et au contrôle des normes - y compris des missions d'enquête, auxquelles participent des parlementaires - pourraient servir de modèles de référence dans d'autres contextes régionaux, voire au niveau mondial.

51. Certains participants ont par ailleurs relevé que le Parlement devrait veiller à la mise en place de mécanismes indépendants de contrôle du respect des droits de l'homme.

52. Le Symposium a enfin souligné que le Parlement devrait utiliser tous les moyens à sa disposition pour garantir l'intégrité et l'indépendance du Pouvoir judiciaire.

ACTION PARLEMENTAIRE AU NIVEAU INTERNATIONAL

53. Conséquent avec les dispositions de l'article premier des Statuts de l'Union interparlementaire, le Symposium a nettement mis en évidence le caractère universel des droits de l'homme tels que consacrés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme, même si certains participants ont tenu à réaffirmer leurs références culturelles ou religieuses.

54. En outre, l'accent a été mis sur le caractère indivisible des droits civils et politiques et des droits économiques, sociaux et culturels.

55. Nombre d'intervenants ont, notamment, affirmé que la misère constitue la pire violation des droits de l'homme. Plusieurs, surtout ceux de pays traversant une période difficile de transition vers la démocratie, ont souligné que les puissantes contraintes politiques et économiques auxquelles ces pays sont soumis ont de lourdes conséquences sur la jouissance des droits de l'homme. D'une façon générale, les interventions ont mis en évidence l'interrelation entre droits de l'homme, démocratie et développement.

56. Reprenant un principe énoncé par l'Union interparlementaire, nombre de participants ont affirmé avec force que les questions de droits de l'homme et des libertés fondamentales sont un sujet de légitime préoccupation internationale du fait que le respect de ces droits et libertés constitue l'un des fondements de l'ordre international. Ils ont souligné que la communauté internationale peut, à juste titre, se soucier du respect des engagements internationaux contractés par les Etats qui ont ratifié des instruments relatifs aux droits de l'homme.

57. Quelques intervenants ont toutefois déclaré leur attachement à un strict respect de la souveraineté nationale.

58. Une large majorité d'orateurs ont insisté sur le fait que l'action internationale en matière de droits de l'homme doit s'appuyer sur des normes universelles invoquées avec constance et sur une base non sélective. Toute action ou absence d'action inspirée par des considérations d'ordre politique ou économique a été sévèrement critiquée.

59. Dans ce contexte, de nombreux orateurs ont préconisé la nomination d'un Haut Commissaire spécial des Nations Unies aux droits de l'homme, qui veillerait en toute indépendance à la mise en oeuvre et au respect des normes internationales de droits de l'homme. Quelques autres intervenants ont manifesté leur désaccord sur ce point.

60. En ce qui concerne l'action que les Parlements peuvent exercer sur le plan international en défense des droits de l'homme, plusieurs recommandations, fondées sur l'expérience de certains pays, ont été évoquées. C'est ainsi qu'il a été affirmé que les groupes informels de parlementaires pour les droits de l'homme, tel celui qui existe au sein du Parlement australien, peuvent relayer et appuyer l'action d'institutions telles que le Comité international de la Croix Rouge et Amnesty International, et exercer des pressions efficaces sur les gouvernements étrangers pour obtenir la libération de prisonniers d'opinion ou leur garantir un procès équitable et pour faire cesser l'application de la torture et celle de la peine capitale.

61. Le Symposium a reçu une information approfondie sur les travaux du Comité des droits de l'homme des parlementaires, et nombre de participants ont manifesté leur appréciation pour son action, qui mérite d'être soutenue.

62. Il a été souligné qu'une assistance interparlementaire, multi- ou bilatérale, constitue un soutien très efficace pour garantir la jouissance des droits de l'homme dans les pays qui traversent une période de profonds changements politiques et institutionnels. Ce type d'action a été encouragé.

63. Plusieurs orateurs ont aussi signalé que, par l'aide qu'ils apportent au processus électoral dans certains pays - y compris l'envoi d'observateurs -, les Parlements contribuent utilement à l'exercice du droit des citoyens de ces pays à prendre part à la direction des affaires publiques.

64. Enfin, plusieurs participants se sont référés dans leurs interventions à la résolution 808/92 du Conseil de sécurité relative à la création d'un tribunal international pour juger les personnes responsables de crimes de guerre et de violations du droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ancienne Yougoslavie. Cette mesure a été mentionnée comme un premier pas vers l'établissement d'un tribunal international permanent pour juger des crimes de guerre, qui pourrait être établi par une résolution du Conseil de sécurité se fondant sur le Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.

GARANTIES SPÉCIFIQUES POUR QUE LE PARLEMENT PUISSE AGIR EN TANT QUE GARDIEN DES DROITS DE L'HOMME

Immunités parlementaires

65. Le Symposium a tenu à souligner que, pour que le Parlement puisse agir efficacement comme gardien des droits de l'homme, ses membres doivent bénéficier d'une pleine liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions. Il a attaché une importance toute particulière à ce que ce droit soit garanti sous forme d'immunités parlementaires. Des différences de vues sont toutefois apparues quant à la portée souhaitable de ces immunités.

66. Quelques participants de tradition anglo-saxonne ont estimé que l'application du droit commun était généralement apte à assurer la protection de tous, y compris des parlementaires. Une grande majorité a par contre soutenu le principe d'une immunité contre toute poursuite civile ou pénale. Ils ont relié ce concept à deux considérations fondamentales. D'une part, immunité ne signifie pas impunité car elle peut être levée; elle s'analyse comme une procédure mettant le parlementaire à l'abri de poursuites expéditives et arbitraires. D'autre part, l'immunité constitue moins une protection individuelle du parlementaire qu'une garantie de l'institution représentative elle-même et des électeurs.

67. Se fondant sur l'expérience et la "jurisprudence" du Comité des droits de l'homme des parlementaires de l'Union, de nombreux orateurs ont mis en évidence que la levée de l'immunité d'un parlementaire doit se faire selon une procédure offrant elle-même toutes les garanties contre l'arbitraire.

68. Il est apparu que quelles que soient leur nature et leur portée, les immunités parlementaires devaient être consacrées dans la Constitution nationale ou dans des lois fondamentales.

Parlement dans les états d'exception

69. Le Symposium a souligné que l'état d'exception, qui est prévu par la plupart des systèmes juridiques et par les principaux instruments internationaux de droits de l'homme, ne doit pas ouvrir la voie à l'arbitraire.

70. Le Symposium a évoqué une série de principes permettant de prévenir de graves violations de droits de l'homme, comme celles qui ont été constatées dans plusieurs des 80 pays ayant proclamé un état d'exception entre 1985 et 1992.

71. Il a souligné combien il est important que le Parlement puisse jouer son rôle en ce qui concerne la déclaration aussi bien que la levée de l'état d'exception, en ce qui concerne la détermination des droits auxquels il peut être dérogé pendant l'état d'exception et en ce qui concerne le contrôle de l'exercice des pouvoirs exceptionnels par les autorités investies de tels pouvoirs, notamment les forces de sécurité et de police.

72. Nombre de participants ont fait valoir que l'état d'exception doit être défini dans des dispositions ayant le rang de normes constitutionnelles, de sorte que cette institution demeure à l'abri de réformes législatives circonstancielles, et ils ont souligné l'importance de dispositions interdisant la dissolution et même la suspension du Parlement pendant un état d'exception. Le Parlement est en effet trop souvent la première victime de la déclaration d'un état d'exception, soit sous la forme d'une dissolution pure et simple, soit sous la forme d'une restriction drastique de ses pouvoirs législatifs.

73. Même si plusieurs participants ont souligné que la dévolution au Pouvoir exécutif de certains des pouvoirs du Parlement était inhérente à l'existence d'un état d'exception, plusieurs autres ont soutenu que le Parlement devait maintenir ses pleins pouvoirs législatifs. Ces mêmes orateurs ont insisté sur l'importance du maintien, pendant un état d'exception, des immunités dont jouissent les parlementaires, considérant que c'est précisément dans de telles situations que les représentants du peuple doivent, plus que jamais, être à même de défendre les droits de leurs mandants et être particulièrement attentifs à le faire.

74. Les participants ont souligné que la déclaration d'un état d'exception devait véritablement répondre à une situation de crise exceptionnelle, telle que prévue dans la norme nationale régissant l'état d'exception. Certains ont relevé que le Parlement et ses membres devaient en tout temps être attentifs aux signes avant-coureurs de crise pouvant conduire à la déclaration d'un état d'exception. Dans ce contexte, allusion a été faite maintes fois à la nécessité de s'attaquer aux racines mêmes des déséquilibres structurels, principalement le problème de la pauvreté, qui fait trop souvent le lit des régimes autoritaires. Allusion a également été faite à la garantie contre la crise que représente la transparence des activités politiques ainsi qu'un échange fluide d'informations entre politiques et forces de sécurité.

75. Le Symposium a relevé que la durée de l'état d'exception devait être strictement limitée dans le temps, ainsi que le Conseil interparlementaire l'a maintes fois relevé. Plusieurs orateurs ont tenu à souligner que le Parlement devait strictement s'assurer de ce que les pouvoirs exceptionnels conférés à certaines autorités du fait de l'état d'exception avaient effectivement cessé d'être exercés à dater de la levée de celui-ci.

76. Plusieurs intervenants ont aussi souligné la nécessité d'une notification de l'état d'exception à l'ensemble de la population ainsi que la garantie que représente pour celle-ci le fait que la communauté internationale soit dûment informée de la proclamation d'un état d'exception; cette notification constitue en fait une obligation pour les Etats parties à certains traités. Un représentant latino-américain a tenu à dire que, pour plusieurs pays de sa région à l'époque où ils ont connu la dictature militaire, l'absence de notification de l'état d'exception avait contribué à ce que la communauté internationale ignore l'ampleur des violations des droits de l'homme auxquelles cet état donnait lieu.

77. Plusieurs orateurs ont en outre fait valoir que les mesures prises pour faire face à la crise devaient être proportionnelles à l'ampleur de celle-ci et qu'un certain nombre de droits devaient demeurer en tout temps à l'abri d'une quelconque dérogation. Il a notamment été fait mention du droit à la vie et du droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements cruels, inhumains et dégradants.

78. La question de l'ampleur des pouvoirs de détention dévolus au gouvernement pendant un état d'exception et la garantie que signifie pour tout détenu l'obligation d'être soumis à l'autorité du Pouvoir judiciaire a été relevée.

79. Nombre d'orateurs ont exprimé leur répudiation de la pratique de la torture, dont le risque est particulièrement grand lorsqu'un état d'exception est déclaré et que des pouvoirs très amples sont dévolus aux forces de police et de sécurité.

CONFERENCE MONDIALE SUR LES DROITS DE L'HOMME

80. La Conférence mondiale sur les droits de l'homme, organisée par les Nations Unies à Vienne du 14 au 25 juin 1993, a, bien entendu, été présente à l'esprit des participants au Symposium tout au long de leurs travaux. A plusieurs reprises ils ont exprimé avec force les espoirs qu'eux-mêmes et ceux qu'ils représentent placent dans cette Conférence. Ils ont souligné la responsabilité qui incombe en propre aux parlementaires de veiller à ce que ces espoirs ne soient pas frustrés et à ce que cette réunion capitale soit l'occasion non seulement d'une réaffirmation solennelle des engagements de la communauté internationale mais aussi d'une avancée significative dans le domaine des droits de l'homme.

81. Les participants ont souhaité en outre que le rôle et l'action des Parlements pour la promotion et la défense des droits de l'homme, définis et analysés durant le Symposium, de même que leurs suggestions concrètes soient dûment pris en compte dans les travaux de la Conférence. Ils ont chargé ceux d'entre eux ou ceux de leurs collègues qui participeront à cette réunion de veiller à ce qu'il en soit ainsi. Dans cette perspective le Symposium se félicite de pouvoir compter sur la coopération du Secrétariat de la Conférence mondiale pour que les résultats de ses travaux soient mis à la disposition des délégations nationales à Vienne.

ACTION FUTURE DE L'UNION INTERPARLEMENTAIRE

82. Dans leur grande majorité, les participants ont estimé que l'Union interparlementaire et ses membres doivent renforcer leur engagement et leur action pour la promotion et la défense des droits de l'homme. Plusieurs mesures concrètes ont été recommandées à cette fin :

a) Les organes directeurs de l'Union interparlementaire devraient envisager la mise sur pied d'un mécanisme permanent pour tenir les Parlements informés des instruments relatifs aux droits de l'homme ouverts à la ratification et pour en encourager la ratification et la mise en oeuvre nationale.

b) L'Union interparlementaire devrait favoriser par divers moyens, dont la publication périodique de son Répertoire mondial des instances parlementaires pour les droits de l'homme, les contacts et les échanges entre ces instances.

c) Le travail du Comité pour les droits de l'homme des parlementaires devrait être mieux relayé et faire l'objet d'un appui plus résolu. Pour cela, il a été suggéré, d'une part, que les résolutions adoptées par le Conseil interparlementaire concernant des cas sur lesquels le Comité présente des rapports publics soient encore plus largement diffusées et notamment soient portées à la connaissance des organes pour la défense des droits de l'homme existant au sein des divers Parlements; d'autre part, que des Groupes nationaux accordent leur parrainage à des parlementaires dont la situation est suivie par le Comité.

* * *

83. En conclusion - et cela paraît constituer un apport essentiel du Symposium à la Conférence mondiale de Vienne -, les Parlements nationaux peuvent et doivent jouer un rôle croissant dans la promotion et la mise en oeuvre des droits de l'homme et ce, selon leur propre spécificité et de façon indépendante, encore que complémentaire, de l'action des Pouvoirs exécutif et judiciaire dans chaque pays.

84. Par une conjugaison de ces trois forces, ainsi que par la pression de l'opinion publique et l'effet multiplicateur des instances et des normes internationales, sans doute chaque parlementaire pourra vérifier graduellement dans la réalité la justesse de la maxime de Montesquieu : "Une chose n'est pas juste parce qu'elle est loi, mais elle doit être loi parce qu'elle est juste."


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